On a beau faire, brûler son almanach des Postes, tabasser en règle le Père Noël de son supermarché, la magie des fêtes nous rattrape tôt ou tard. Qu’ils paraissent loin, soudain, les doux souvenirs de chérubin jaillissant du lit dès potron-minet pour découvrir les beaux paquets généreusement répandus devant l’âtre. Oubliée l’innocence de jadis. Les cadeaux entre adultes « socialement intégrés » tiennent de la farce grand-guignolesque. Car, ne vous-y trompez pas, c’est une gageure de recevoir un cadeau. Un art subtil, qui relève d’une tacite comedia dell’arte.
Au pied du sapin, entouré de sa famille endimanchée, on se surprend à déployer des talents insoupçonnés de comédiens. Clin d’œil espiègle à grand-tante Jeanne, ébahissement de circonstance quand on découvre pour la cinquième année consécutive l’infâme bol en terre cuite amoureusement empaqueté.
Et l’on claque la bise à l’ancêtre avec un entrain redoublé, en se répandant en affables remerciements. Le grand jeu. À en faire blêmir de jalousie un sociétaire de la Comédie-Française. Le sapin, lui, trône en spectateur imperturbable de cette farandole des faux-culs.
Mémère Jeanne et son menton qui pique
On aurait tort, pourtant, de vouer aux gémonies mémère Jeanne et son menton qui pique. Car la vénérable dame a beau empester la naphtaline, c’est une maîtresse femme, orfèvre dans l’art d’offrir des horreurs avec une bonne foi désarmante. Du haut de ses quatre vingt dix printemps, la mégère en connaît un rayon sur la sournoiserie des rapports humains. Sa suprême hypocrisie, patiemment ciselée au fil des ans, est source d’inspiration. Le cadeau inutile, c’est son arme de déception massive, offert avec une jubilation royalement dissimulée derrière le sourire édenté. Non, un cadeau n’est jamais innocent.
Voilà bien la leçon à retirer de ces mortifères réunions de famille. À l’usage, toutefois, ces inévitables retrouvailles peuvent apporter leur lot de réjouissances. Plus ravageur encore que la médisance, le cadeau empoisonné ! Quoi de plus excitant que de régler ses comptes avec son beauf de beau-frère, sous les atours de la plus aimable civilité ? Un grossier pull tricoté en laine écarlate, retrouvé au fond d’un placard jauni fera l’affaire. Le tout assorti, bien sûr, d’une grande accolade virile : « Et un joyeux Noël, mon Jean-Pierre ! ». Noël, finalement, a peut-être encore gardé de sa magie d’antan…
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