A bas les énarques, dehors les experts, à mort les technocrates bruxellois. Qu’on en finisse une bonne fois pour toutes avec ces élites autoproclamées, ces spécialistes, ces sales intellos, même pas fichus de restituer le prix d’une baguette.
Voilà le méchant grain qui tombe actuellement sur la politique française en cette période électorale fortement dépressionnaire à tendance orageuse.
Lors de la synthèse des comités participatifs au QG de campagne du PS en février dernier, les invités assistent au procès en contrepoint de ces élites. « Je n’aime pas les spécialistes » affiche ainsi crânement un jeune cadre de l’équipe ségoliste, comme pour donner davantage de force et de légitimité aux avis éclairés du vulgus pecum. Ceci, avant d’en appeler à une Saint-Barthélémy des élites : "il faut faire exploser ce principe d'experts et d'intellectuels"...
Plus tard c’est Ségolène elle-même qui s’en prend à une journaliste un peu trop impertinente à son goût : « ne rapetissez-pas la politique, il peut y avoir une colère des Français contre les médias ». Cette fois c’est carrément la menace d’un 4 août 1789 qui est brandie, comme une tête de journaleux sur une fourche.
La cible de Sarkozy, elle, ce serait plutôt les magistrats. Les juges pour enfants en particulier, dont il accuse certains d’être « démissionnaires » face aux jeunes délinquants en septembre 2006. Son argument massue ? « Les Français savent que j’ai raison ». A quoi sert d’argumenter, d’étayer un propos, de convaincre ? Il suffit d’en appeler à l’impérieuse opinion publique, cette « sagesse populaire », raison d’être de la « démocratie participative ».
A propos de son projet controversé d’un ministère de l’immigration et de l’identité nationale, clin d’œil ostentatoire à l’électorat frontiste, il essuie la bronca en mettant en cause le terrorisme intellectuel d’une certaine élite médiatique, s’attirant immédiatement la sympathie du peuple qui partage cette idée depuis longtemps. « Nous sommes le seul pays où une petite intelligentsia considère qu'on n'a pas le droit de parler d'identité nationale. »
Dernièrement, Nicolas n’hésite pas à encourager ce bon sens populaire, en déclarant : « "J'inclinerais, pour ma part, à penser qu'on naît pédophile ». Il donne ainsi une certaine cohérence idéologique à son projet abandonné de la détection précoce (dès 3 ans) des comportements à risque. On naît pédophile, comme on naît criminel. Une idée simple qui passe bien auprès des foules, avide de résoudre sans effort les maux de la société. Pas besoin de sociologues, de psychologues, de chercheurs… Le bon sens populaire on vous dit !
Même le sincère Bayrou se met à taper sur les élites en s’en prenant à l’ENA, qu’il veut remplacer par une autre école des services publics. "Je veux que les responsables futurs des services publics de la France sachent comprendre les citoyens, les entendre et leur apporter des réponses", sous-entendu les énarques ne comprennent pas les problèmes de Français, isolés qu’ils sont dans leur tour d’ivoire.
Toute cette rhétorique n’a rien de surprenant en réalité. Il ne s’agit que du cortège de populisme habituel des périodes électorales. « Mon peuple que vous êtes joli, que vous me semblez beau, sans mentir si votre votage se rapporte à votre visage… »
Mais à cultiver et encourager une telle méfiance des masses à l’égard des intellectuels, des élites et de la raison en général, comment prétendre par la suite les diriger, leur donner des ordres, leur imposer des lois ? Dans un couple, comment s’étonner du déficit d’autorité des parents quand ceux-ci la remettent mutuellement en cause devant leurs enfants ?
A quand la fin des populismes systématiques, des simplismes et des anathèmes de classes ? Il est urgent de redonner leur légitimité aux experts, aux spécialistes, à ceux qui consacrent leur vie à une tâche qu’ils maîtrisent parfaitement.
Il est temps que les politiques fassent preuve de pédagogie pour tenter d’expliquer au peuple, le pourquoi du comment de telle ou telle décision qui peut lui sembler parfois absurde. De cette façon seulement ils rendront hommage à l’intelligence du peuple, sans flatter ses « raccourcis de l’esprit », éloges bien connus de l’ignorance ou de la paresse.
Cycéron
© Crédit photos avec Flickr
A propos, avez-vous lu le livre passionnant de Laurent Mauduit "Petits conseils" sur la galaxie Alain Minc ? Pour comprendre le capitalisme de connivence en France et le soutien quasi-affiché du journal Le Monde à Sarkozy.
http://www.bazardecampagne.com/article-6322720.html
Rédigé par : Bernard | 09 avril 2007 à 14:06