Réunion blogueurs le 30 janvier 2007, au siège de l’UMP, 18, rue d’Enghien. Compte-rendu par Cyceron (Photo blogonautes)
Une quarantaine de sièges arrangés en colimaçon autour d’une petite table basse, jonchée de micros, attendent les plumitifs électroniques. La pièce se trouve au milieu d’un patio à deux étages desservant des bureaux à grandes baies vitrées. Ambiance agence de pub branchée ou cabinet de consulting. Matériaux et design modernes et froids : aluminium, verre, boiseries claires…
Nous sommes cernés de comptoirs, genre buvette du Sénat. En face, l’affiche de campagne Windows « Ensemble tout devient possible ». Derrière nous, une salle d’interview spécial « beau linge », avec fauteuils en skaï et caméra semi-professionnelle. Plus haut, un écran géant reproduit une page du site UMP où figure un discours de Sarkozy « ce que je vous propose ». Au zénith de nos crânes, plusieurs rampes de spots cinématographiques qui nous inondent d’une lumière halogène pâle et brûlante.
La pièce se remplit peu à peu. Tranche d’âge 20-35 ans. Majorité de garçons de « bonne famille », du bourgeois catho au bobo branchouille. Chemises à rayures, cols blancs spécial « finance »,
mocassins Todd’s ou incontournables Weston. Et bien sûr le must du moment chez les classes supérieures, « bon chic-bon genre » : la veste en velours sombre.
Bref, pas de surprise : le public est socialement orienté à droite. Exceptée la maturité des visages, on se croirait à la sortie du Lycée Pasteur de Neuilly.
Quelques jeunes femmes commentent le match Fillon/Hollande passé récemment chez Arlette Chabot. « Oh lala, qu’est-ce qu’il s’est pris le Hollande ». « Hollande ? T’façon, c’est une vraie tête à claques ». Le ton gouailleur rassure quelque peu sur la mixité sociale. A moins qu’il ne s’agisse de nouveaux riches…
Ah ! Le maître de cérémonie, le grand et bronzé Loïc Le Meur, fendu d’un large sourire, nous souhaite la bienvenue. Puis s’installent en face de nous le ministre Fillon et le député Yves Jégo. A gauche, je ne connais pas. Sans doute le chef des militants UMP.
Arrivée remarquée de Christophe Grébert, immédiatement accaparé par Le Meur et un groupe de journalistes, trahis par leur Betacam. Grébert est la caution d’ouverture de ce débat. Et oui, un Strauss-Kahnien aujourd’hui Ségoliste, c’est vraiment l’agneau dans la louverie. Car, c’est une nouveauté, l’UMP a décidé d’accréditer des blogueurs de l’autre bord, ou supposés « hostiles ». Ainsi, TheBenitoReport, s’est-il vu enfin ouvrir les portes de l’antre Sarkozyste et Cycéron le privilège d’ouvrir grand ses mirettes et ses proéminentes esgourdes.
D’ailleurs une autorisation qui concorde fort opportunément avec l’équivalent chez les Ségolistes, et nous donne la jouissive possibilité de vivre cette campagne de l’intérieur (sans allusion au maître des lieux).
Une question, me taraude d’ailleurs depuis quelques jours : pourquoi a-t-il fallu la fin des Primaires pour qu'expire notre excommunication des deux bords du rivage politique ? Plusieurs réponses et hypothèses sourdent à mon esprit malade :
1- Maintenant que le ménage a été fait, nous autres bloggeurs « incontrôlables » ne pouvons plus être témoins des discordes intestines aux partis. La querelle a été soigneusement dissimulée sous le tapis de la concorde. * Ne cherchez pas sur place, vous n’y trouverez qu’une obélisque (fin de l’astérisque).
2- Nous pouvons désormais assister aux voyages « soviétiques » politiques organisés. Au pire que va-t-on découvrir ? Que tout est minuté, contrôlé, orchestré ? Quel scoop ! Voilà qui risque de vraiment déstabiliser ces candidats.
Mais pourquoi vouloir nous séduire, nous ? Misérables scribouillards cumulant péniblement le millier de visiteurs par jour ?
3- Parce que on ne sait jamais. Dans cette élection qu’on prédit serrée, on ne crache pas sur quelques milliers de voix. Et il paraît que notre influence dépasse largement notre lectorat. C’est des études qui le disent. Et pis mince, on est quand même des CSP+, des leaders d’opinion, courtisés depuis longtemps par les marques à grand renfort de téléphones mobiles et d’ordinateurs portables !
On est des types écoutés, relayés par les médias traditionnels trop angoissés à l’idée de passer à côté d’un truc énorme ! Déjà qu’ils se sont foirés sur les guerres du Golfe… Aors tu imagines ? Une nouvelle démocratie d’opinion ! C’est déjà le cas aux States, si, si, yaka voir la présidentielle américaine de 2004.
4 – Enfin dernière hypothèse : parce que l’on peut sans doute plus facilement nous manipuler. Pour nous autres, parvenus médiatiques, ces marques d’attention, ces invitations font mouche. On ne refuse pas la main du Roi. Application d’un principe de gouvernement redoutable inventé par Louis XIV : la cour.
Cette réunion a montré une fois encore à quel point les blogueurs « élus » pouvaient se montrer étonnamment complaisants, inertes ou simplement naïfs à l’égard du Prince. Comme Heidi découvrant la bourgeoisie suisse-allemande avec les yeux grand-ouverts et la lippe humide.
Ce débat fort instructif m’a aussitôt appris comment on « pacifie » une salle.
- Tout repose en amont sur le choix et la proportion de bloggeurs dissidents. C’est comme pour les jurés américains : crucial. Ici quelques panachages au sein d’une foule amie et une ou deux personnalités connues, comme notre caution Grébert. "Voyez que nous sommes ouverts…"
- Mettre en place le sas microphonique. La règle est simple : on ne parle pas sans micro, qu’on aura pris soin de confier à une hôtesse. Du coup, il faudra demander la permission avant de pouvoir s’exprimer. Le temps d’obtenir l’esquimau, le sujet abordé est déjà périmé. Ou alors, il faut outrepasser la consigne et prendre le risque de tympaniser ses voisins. Je prie ces derniers de m’excuser pour cela, car il a bien fallu que je m’époumone pour réagir à chaud aux propos de Monsieur Fillon.
- Ne pas oublier le Cerbère-stentor, suffisant, et au triomphe émouvant de candeur : plus heureux que lui, tu meurs. Il disposera naturellement d’un micro attitré, lui. Ainsi pourra-t-il aisément couvrir votre voix de ses propos tirés d’une longue expérience et profonde connaissance de la vie. Comme lorsque je suis intervenu pour souligner la nécessité de libéraliser les marchés en veillant au respect du contrôle de la concurrence et du service public… « Heuh, moi je reviens des Etats-Unis et je peux te dire qu’ils ont des tarifs Internet x fois plus élevés que chez nous… alors bon on peut pas se plaindre avec nos tarifs à trente euros » . Je n’aurai pas l’occasion de développer.
- Laisser s’enliser le débat sur des sujets anodins, sans aucun risque subversif, comme la réforme institutionnelle ou le statut des chercheurs publics. Passer évidemment la parole à d’autres invités, lorsque j’aborde des sujets plus sensibles comme celui du privilège des hauts fonctionnaires de retrouver leur poste en cas d’échec à une élection. Une des raisons principales à l’étonnante consanguinité politico-administrative de notre pays.
En somme, ce premier débat participatif aura été riche en enseignements tactiques. Maigre en informations précises, en propositions concrètes et chiffrées. Comme lorsque je demande à Fillon de chiffrer ses propositions d’augmenter les budgets de recherche, en termes de pourcentage de PIB: « heuh, 2%, comme nous l’imposent les objectifs européens ». « C’est peu ! » commentais-je, ayant en tête les 2,6 points américains et les plus de 3% chinois. « Non corrige, un jeune éconophile, c’est 3% l’objectif européen ». Et oui, une petite bourde de l’ancien ministre de l’Education et de la Recherche. Celle-là ne sera pas médiatisée.
Fillon répond encore poliment à quelques questions puis s’éclipse. J’ai le sentiment qu’il aurait bien voulu répondre plus en profondeur à mes questions. Hélas son maternant garde du corps a quelque peu étouffé le débat de son envahissante protection. Comme si le vaillant pourfendeur de Hollande avait besoin d’aide face à un modeste ferrailleur comme moi, qui n’avait d’ailleurs pas l’ambition de le déstabiliser. Ce sera pour une prochaine fois. Je m’éclipse à mon tour avant la fin du débriefing post-coïtal-bloggeur. J’ai passé une excellente soirée, merci aux organisateurs. J’attends le prochain avec impatience.
Attention, l'invitation de bloggeurs de l'autre bord n'est pas une nouveauté.
Nicolas Voisin du politic show (pas trop UMP le gars) avait été invité à l'université d'été du parti de Sarkozy.
Ces invit sont désormais systématiques.
Rédigé par : benito | 01 février 2007 à 10:17